Gravure satirique anonyme éditée à Paris.

Épreuve sur vergé azuré (filigrane Jésus).

Rare.

Quelques épreuves connues : le Département des Arts graphiques du Louvre (inv. L 495 LR/62), le British Museum (inv. 1925,0701.71) et la Bibliothèque nationale de France (RESERVE QB-370 (19)-FT 4), conservent tous les trois une épreuve en coloris ancien.

En 1789, la caricature devient une arme de propagande au service de la Révolution. Si Louis XVI est relativement épargné par la presse pamphlétaire durant les premiers mois de troubles, tout change après sa tentative de fuite et son arrestation à Varenne en juin 1791. La figure du monarque, jusqu’alors sacrée, devient la cible des caricaturistes, anonymes pour la plupart. On dépeint Louis XVI en « roi monstre », « roi cochon », mais aussi en « roi zéro », « roi incapable », fou et ivrogne. L’alcoolisme du souverain était notoire. Dans son journal, l’Abbé de Véri écrivait dès 1782 : « Le penchant de Louis XVI pour la boisson s’accroît journellement, et sa raison s’égare quelquefois au souper. Si ce vice se borne aux heures du souper, comme chez son grand-père, l’inconvénient est médiocre. Mais il commence de bien bonne heure… L’avilissement où jette ce vice est encore augmenté par le ton rude de sa voix, par des réponses brusques et brutales, par des amusements sanguinaires envers les bêtes et enfin par un goût de badinage de la plus basse servilité ».

Cette caricature représente Louis XVI en « roi monstre ». Juché sur un petit âne fluet, le souverain ventru s’avance pour consulter « l’Oracle de la dive bouteille ». À sa suite, un cortège de faux dévots vient se recueillir devant le tonneau de champagne, comme devant un veau d’or. Cette estampe s’inspire du Cinquième livre de Rabelais, contant les aventures de Pantagruel et ses compagnons, partis à la recherche de l’« Oracle de la dive bouteille », le vin de l’ivresse et des beuveries. Au pied de ce portrait-charge, on peut lire :

« Le fameux glouton nommé Gargantua suivis des cardingots, des evégots, des abbégots et des capucingots, oiseaux très saler très puants et très voraces ; se transporte monté sur une jument avec sa famille, et va consulter l'Oracle de la Dive Bouteille sur les évènements futurs, mais les destinées qui sont écrites sur deux tablettes pendantes à deux chênes arrêtent et saisissent d'étonnement la suite grotesque. Gargantua, seul digne successeur de Pantagruel, persiste à savoir le secret de la Bouteille qui après un bourdonnement épouvantable fait sauter le bouchon, se fend et prononce le mot Trink tandis que Panurge et le grand Prêtre saisis de respects se promettent de suivre les Decrets du destin, dans le fond on voit un Papegot, et trois têtes couronnées qui attendent le résultat de la Consultation. » [Sic] L’inspiration rabelaisienne de cette gravure l’inscrit dans la grande tradition satirique française. La figure ogresque de Gargantua – qui fut également simplifiée sous la forme d'une poire - est un leitmotiv de la caricature révolutionnaire. Popularisée en 1789, elle connaîtra à nouveau des jours fastes sous la monarchie de Juillet, lorsque Daumier, Philipon et Grandville lui prêteront les traits de Louis-Philippe.