La Sainte Famille aux trois lièvres, vers 1496

DÜRER Albrecht

La Sainte Famille aux trois lièvres, vers 1496

Description de l'oeuvre

DÜRER Albrecht
Nuremberg 1471 † 1528 id.
Bois gravé.
H392xL283mm.
Feuille rognée au trait carré.
Bartsch n° 102. Meder n° 212 (a/i). Strauss n°36 (I/IX)

Très belle épreuve sur vergé du premier tirage, monogrammée en bas au centre.

Filigrane : Couronne basse avec triangle, vers 1499-1504 (Briquet n°4773).

Une gravure de jeunesse sous influence nordique: Le thème de la Vierge à l’Enfant traverse tout l’œuvre gravé de Dürer. Sur ce motif et ses variantes, on ne compte pas moins de quatorze burins, une pointe sèche, et neuf bois. La Sainte Famille aux lièvres est une composition de jeunesse, imprimée en pleine page, comme tous les bois du maître gravés avant 1500. Quoique réalisée après le premier voyage de Dürer en Italie (1494-1495), celle-ci présente des influences encore nettement septentrionales : la légère inclinaison du visage de la Vierge, les lourds drapés de sa robe s’amoncelant au sol, ainsi que les deux angelots la couronnant, rappellent indiscutablement le retable de la Vierge au buisson de roses (1473) de Martin Schongauer (1450 † 1491). À l'instar de son aîné, Dürer superpose deux traditions iconographiques mariales : la Vierge de Majesté, recevant la parure royale, et celle d’Humilité, assise sur un modeste banc de gazon, séparée des hommes par un muret de pierres en signe de chasteté.

Naturalisme et symbolisme religieux : L’évocation de l’Hortus conclusus, le jardin clos du Cantique des cantiques (4 : 12), permet à l'artiste de déployer une nature prodigue et prodigieuse. Aux pieds de la Madone, tout fleurit et s’anime comme par enchantement : une gerbe flamboyante9 s’épanouit en lignes souples auprès de trois lièvres cabriolant, symboles de fertilité. En digne héritier des maîtres flamands, le graveur investit la matière sensible d’une spiritualité immanente : sanctifiés par la présence de la Vierge, les phénomènes les plus humbles - la croissance d'une touffe d’herbe - se dotent de vertus anagogiques. L’aura marial semble également déteindre sur la campagne environnante. Au loin, le regard se perd dans des coteaux et vallons boisés que baignent des eaux lacustres. Antérieure à la Réforme, cette planche n'a pas l'austérité monumentale des Vierges à l'Enfant de la fin de carrière de l'artiste. Son cadre bucolique et printanier, proche de ceux de La Vierge au singe (v. 1498) et de La Sainte Famille au papillon (v. 1495- 1496), trahit encore l'influence de l’art enjoué du Maître du Cabinet d’Amsterdam (ou Maître du Livre de raison), que l’artiste étudia lors de ses années de compagnonnage. Il témoigne également des passions de Dürer pour la botanique et la zoologie. Plusieurs de ses dessins et aquarelles manifestent une semblable sensibilité naturaliste : La Vierge parmi les animaux (vers 1503), avec son bestiaire pléthorique, la Grande touffe d'herbe (1503) et Le lièvre (1502), au troublant illusionnisme, en constituent sans doute les exemples les plus frappants.

Virtuosité du trait xylographique: Les motifs organiques, en particulier végétaux, donnent ici lieu à une véritable floraison graphique. Les contrastes francs et le style linéaire induits par le procédé xylographique accentuent les qualités proprement ornementales du sujet - perpétuant, en cela, une grande tradition de l'art gothique. Sans chercher à atteindre le degré d'acuité ou d’illusionnisme de ses gravures au burin, Dürer en retrouve la souplesse raffinée. Ce faisant, il donne ses lettres de noblesse à une technique encore largement cantonnée au domaine du livre illustré. Dürer, comme l’a démontré Erwin Panofsky10, révolutionne l’art du bois de fil en y apportant une expressivité de dessin inédite. Sa ligne dynamique, tour à tour pleine et déliée, sait traduire le froissement d’une étoffe soulevée par le vent, le bond élastique d’un lièvre, les inflexions subtiles et capricieuses de la végétation. L'artiste parvient aussi, par de lumineuses réserves ménagées dans le ciel et le paysage, à tirer partie des oppositions brutales du bois pour suggérer la profondeur atmosphérique.

Une planche taillée par le maître lui-même ? : Dans sa monographie publiée en 192811, Eduard Flechsig note que, de tous les grands bois produits par Dürer avant 1500, celui-ci se distingue par la taille importante de son monogramme12. Toute l’assurance de l’artiste transparaît dans ces initiales gothiques, qu’il inscrit pour la première fois sur ses estampes vers 1495-1496, après son retour d’Italie. Sans égal dans son art, et porté par une conscience aiguë de sa propre valeur artistique, on peut se demander si Dürer, contrairement aux usages du temps, n’a pas gravé lui-même sa Sainte Famille aux lièvres. Jamais sans doute avant lui, la xylographie n'avait atteint un si haut degré d’accomplissement dans sa ville Martin Schongauer (1450 † 1491) Vierge au buisson de roses (1473) Colmar, Couvent des Dominicains 20 natale où il fut, du reste, aussi le premier à pratiquer la gravure sur cuivre. Au sujet de ses bois de jeunesse imprimés sur feuilles volantes, Panofsky précise : “L’artiste a triplement le droit de les marquer de ses initiales : il les publie sous sa propre responsabilité ; les invente et les dessine lui-même ; enfin, dans la plupart des cas (mais non dans tous), il les a même taill[és] de sa main13”. À cette époque, comme le souligne Sophie Renouard de Bussière, le maître de Nuremberg, qui entame également sa célèbre série de l’Apocalypse (1496-1498), n’a pas encore formé de suiveurs : ”Dürer a dû alors exécuter lui-même le travail de la taille, pour la bonne raison qu’il n’aurait pu trouver personne apte à traduire - sans trahir - la fulgurance apprivoisée de ses visions14”, explique la conservatrice.

Postérité : Le raffinement de cette planche, où brillent les derniers feux de l’art gothique, a suscité dès le vivant de l’artiste des copies et variations. Contemporain de Dürer, Hans Wechtlin (v. 1480-1485 † après 1526), signe vers 1510- 1513 une délicate Vierge à l’Enfant sur un banc de verdure, nettement inspirée par l'iconographie de son aîné. Citons également une copie de la Vierge à l’Enfant sur un banc de gazon, du colognais Peter Overadt (1596 † 1632), où se retrouvent, comme en clin d'œil, les trois léporidés

 

 

 

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CAT XXXII n°3